Trois adultes discutent. La troisième se gratte la tête et dit : « Comment s’appelle cet homme ? ». L’autre dit « je ne vois pas de qui tu veux me parler ». L’autre insiste : « Mais oui !!... c’est cet homme grand avec une moustache, un «chabin», il habite près de la source. La première : « Ah !!C’est de cet homme dont tu veux me parler ? » Ta mère dit : « Quel est son nom ? » L’homme ne s’en souvient pas. Ta mère : « il est sans doute en train de manger ». Elle cherche, elle se gratte la tête, « les cheveux blancs lui poussent ». Ça t’ennuie pour ta mère, tu es tout petit, tu passes par-là, et tu sais de qui il s’agit. Tu dis : « maman tu ne penses pas que c’est monsieur Joseph ? Elle dit : «Oui !! C’est de lui dont je parle ». Elle se précipite après toi, elle te gifle : « Ne te mêle pas de la conversation des adultes ». Quand tu es petit qu’est-ce que tu peux souffrir !!! Après cela tu jures, jamais au grand jamais de la vie, quand deux adultes parleront, tu ne te mêleras pas à la conversation. Quelques jours plus tard, tu sors de la cuisine, et tu vois ta mère qui discute avec la même personne. Tu ne veux pas t’immiscer, tu passes derrière la cuisine au lieu de passer par le perron. Tu passes sous l’hibiscus au risque de te faire piquer par les « fourmis rouges ». Par malheur la personne te voit et dit « Comment !! C’est ton dernier ? Il était tout petit !! Comme il a grandi !! Viens petit, comment tu t’appelles ? Viens me faire un bisou. » Ce n’est pas vrai, tu ne te mêles pas des conversations des adultes. Tu passes ton chemin. Ta mère se précipite te gifle : « quand on te parle réponds !». Quand tu es petit qu’est-ce que tu peux souffrir !!! Jean-Claude Duverger, éducateur, comédien martiniquais, nous donne à travers le texte « lè ou piti fout ou ka pwan fè » , un exemple des paradoxes où se débat le petit antillais. Dans les différentes séquences de ce texte, nous avons une approche d’un mode éducatif, communicationnel. L’enfant va se comporter de façon qui présuppose et justifie le comportement de l’Autre. L'injonction paradoxale L'injonction paradoxale consiste à formuler des attentes ou des ordres contradictoires, et/ou impossibles à réaliser. La nocivité psychologique des injonctions paradoxales (double-bind) a notamment été mise en avant par Gregory Watson (1904 -1980). Ces doubles contraintes définissent un système de communication paradoxale qui disqualifie l’'autre et l’enferme dans un cadre dont il ne peut s’'échapper. C’est une pratique qui emmure l'esprit et anesthésie la conscience et la capacité de réaction. Là où prédomine la double contrainte, modèle de communication répond la « schizophrénie », modèle spécifique de communication. Le double lien étant une non-reconnaissance de l’existence de l’Autre que deviendra cet enfant. Quel avenir pour son moi quand nous savons que le paradoxe est un défi à notre croyance, en la cohérence et donc finalement à la solidité de notre univers ? Cette théorie prend en compte le système, cette approche systémique est prôné par l’Ecole de Palo Alto (mouvement de la communication aux USA) et a inspiré la mise en place par la suite des thérapies systémiques. Donc il convient de situer et d’analyser le contexte dans lequel évolue l’enfant. Le système dans lequel évolue l’enfant antillais le confronte à de nombreux paradoxes, le premier est le modèle de famille patrilinéaire qui est transmis alors que la grande majorité vit dans des familles matrifocales de fait ou symboliquement. Pourtant il ne s’agit pas de voir ce type de famille comme une entité instable, mais plutôt comme un micro-système porteur de son homéostasie propre. L’autre paradoxe majeur concerne la langue. Les apprentissages sensoriels, émotionnels, affectifs, se font au travers du créole. L’école, l’administration fonctionne avec le français qui est désigné comme valorisant et permet de « réussir » dans la vie. L’enfant grandit donc dans une communication paradoxale entre la maison et l’école. Michèle Surhomme fait une analyse qui semble corroborer ce point de vue : « la personnalité antillaise fonctionne sur deux strates bien hiérarchisées et mises en place dès l’enfance ». L’enfant antillais vit dans un aller-retour permanent et dans des paradoxes constants. Selon Watzlawick, la seule solution existe dans la métacommunication donc, sortir du cadre. Mais ceci peut être refusé par celui qui instaure ce modèle. Il est quasiment impossible pour la mère de métacommuniquer, c’est contraire à la loi, au système éducatif. Ainsi, l’enfant pourrait se trouver dans l’impossibilité de s’en sortir. Les enfants sont très sensibles au langage analogique, à travers le non-dit, les mythes, ils perçoivent les valeurs véhiculées et les intègre. Il apprendra ainsi quelque chose de son histoire, de la culture sous-jacente, il percevra les désapprobations du groupe, les fiertés pour certaines valeurs. Ce qui sera transmis explicitement et par le digital sera tout à fait différent. Toute injonction renvoie à une relation vitale ; renvoi à une définition de soi. Watzlavick nous permet d’avancer : «quand on est pris de façon durable dans des doubles contraintes, et qu’on finit peu à peu par s’y attendre…les enfants sont portés à conclure, que ce qui leur arrive, arrive à tout le monde, qu’il s’agit d’une loi universelle. » Pour ce qui concerne le système spécifique décrit, un certain équilibre est trouvé, une capacité de résilience de l’environnement et des enfants offre des perspectives. La vie est antillais est jalonné « réussites » où de nombreuses personnalités créent, inventent, produisent des savoirs, des savoirs-être. Conclusion Le modèle de communication paradoxale provoque des perturbations importantes chez les enfants et interfère dans les apprentissages. Il peut déboucher sur des troubles psychologiques plus ou moins graves. De manière générale, il importe d’être vigilant sur le contenu des messages transmis et d’établir de la cohérence dans la manière de communiquer avec les enfants. Autrement dit, s’assurer que nos propos tenus aux enfants sont en adéquation avec nos faits et gestes.
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