Le Festival Les Récréâtrales referme ses portes ce 5 novembre 2022 au Burkina Faso. Depuis le 29 octobre, le quartier populaire de Bougsemtenga, à Ouagadougou, abritait la 12e édition des Résistances Panafricaines d’écriture, de création et de recherche théâtrales (Récréâtrales), sous le thème « Faire visage ». Pour ses 20 ans d’existence, il était question de faire face aux différentes crises sociales, sécuritaires et politiques que traverse le Burkina Faso, afin de redonner d’une certaine manière du sourire aux populations. Un pari gagné par le comité d’organisation dirigé par le comédien, dramaturge et metteur en scène burkinabé Aristide Tarnagda.
Les Récréâtrales, 20 ans d’existence…
Le Festival des Résistances Panafricaines d’écriture, de création et de recherche théâtrale a été initié en 2002. Bien plus qu’un simple festival, c’est une initiative qui célèbre le théâtre dans tous ses aspects ; partant de la formation à la création, et de la production à la diffusion. « Il a pour objectifs de multiplier, consolider, professionnaliser et diversifier les démarches créatives de la scène théâtrale africaine contemporaine tout en favorisant le développement économique et social du quartier d’implantation du projet. »
Cette fête du théâtre qui se tient tous les deux ans, commence en février avec l’étape des formations et autres, et connaît son apothéose en novembre avec le festival proprement dit qui se déroule en quelques jours. L’événement prévoit généralement un long programme d’échange et de partage entre professionnels et amateurs du théâtre. C’est une occasion pour les jeunes talents notamment d’apprendre et d’acquérir des outils efficaces pour leur passion. Ainsi, l’événement réunit plus de 150 artistes, auteurs, metteurs en scène, scénographes et comédiens, autour de résidences artistiques organisées à Gounghin, au sein des cours familiales de Bougsemtenga, un quartier populaire d’importance historique. »
Pour tout cela, le Festival Les Récréâtrales s’est imposé au fil du temps comme l’un des plus grands événements africains de théâtre. Pour ce vingtième anniversaire, l’organisation a prévu des représentations scénographiques remarquables et expressives, qui dévoilent l’Afrique dans toute sa diversité, dans toute sa beauté et aussi dans toute sa laideur. On a notamment eu des danses, des lectures, des mises en scènes théâtrales, des concerts de musique, des expositions et des Soirées partage. Et plusieurs invités venus de divers pays d’Afrique et hors de ses frontières y étaient présents, à l’instar de Ken Bugul, Mohamed Mbougar Sarr, Osvalde Lewat, Aimé Serge Coulibaly, Sèdjro Giovanni Houansou, Alain Timar, Bibata Ibrahim Maïga et bien d’autres.
Attiser la résilience
Malgré le contexte morose marqué par l’instabilité politique et la recrudescence des violences terroristes au Burkina Faso, la 12e édition des Récréâtrales s’est tenue en beauté. D’aucuns se seraient attendus à un report ou à une annulation, mais c’était sans tenir compte de la détermination du comité d’organisation. Cette édition était donc assez spéciale non seulement parce qu’elle marquait le vingtième anniversaire du festival, mais aussi parce que, au regard de l’actualité du pays, elle était l’occasion « d’affirmer la force du pays des Hommes intègres et sa capacité à faire face aux difficultés liées à l’extrémisme », précisait Aristide Tarnagda.
En choisissant le thème « Faire visage », phrase tirée du livre Silence du chœur de Mbougar Sarr, le Festival, Les Récréâtrales 2022, a décidé de passer le message du courage et de la résistance afin de ne pas tomber dans la psychose. « Faire visage », c’est en réalité faire face à la violence et susciter un esprit de résilience chez les Burkinabés, à qui on fait comprendre à travers l’art que rien n’est perdu, il ne faut nullement baisser les bras : « faire visage c’est aujourd’hui faire face aux responsabilités qui sont les nôtres dans un pays qui a énormément besoin de nous. Il faut que l’on conjugue nos intelligences, nos forces, nos déterminations pour relever. C’est nettoyer le visage de notre pays qui est inondé par nos larmes et notre propre sang », affirmait Aristide Tarnagda avant le début du festival.
Cela s’est manifesté à travers notamment l’adaptation et la mise en scène du roman Terre ceinte de Mohamed Mbougar Sarr, faites par Aristide Tarnagda. Le metteur en scène burkinabé s’inspire de ce livre qui porte sur le terrorisme pour susciter une réflexion sur la violence et interroger les notions de courage et de lâcheté. Dans le même sens, on évoquera une mise en scène pour les plus jeunes intitulée « Beogneeré, l’espoir de la savane », dirigée par Paul Pingwinde Zoungrana. Elle retrace « le parcours d’un enfant qui va apprendre les valeurs cardinales de la société afin de sauver son pays en proie à l’insécurité et aux attaques terroristes. » Et enfin, on parlera du spectacle « À nos combats » qui se jouait sur un ring en combinant boxe et danse, avec pour enjeu « de montrer aux plus jeunes que la lutte peut avoir une fonction noble si elle s’exerce avec maîtrise et dignité. »
Un élan de solidarité pour panser les plaies
Le Festival Les Récréâtrales de cette année couvait aussi comme autre enjeu, celui de la solidarité aux personnes victimes du terrorisme plus précisément. Cette solidarité s’est traduite notamment par la volonté des responsables du festival, de programmer la pièce « Tu dis PDI », comme l’un des deux spectacles d’ouverture du festival. Sous la conception et la chorégraphie de Djibril Ouattara, ce spectacle mêlant chant, danse et théâtre était joué en langues locales du pays hôte, le pulaar et le mooré notamment. Les participants de ce projet étant des comédiens amateurs déplacés internes ont reçu deux mois d’ateliers pour la circonstance.
Bien plus, nous parlerons à nouveau de la mise en scène de Terre ceinte qui, selon Aristide Tarnagda, « est un projet conçu pour participer à la reconstruction sociale et psychologique des femmes, des hommes et des enfants victimes du terrorisme. Il est nécessaire que l’art soit présent dans le quotidien de ces populations, afin d’amorcer une catharsis et le retour du goût à la vie. C’est aussi un geste de solidarité. » C’est dans cette même lancée que les photographes Daddy Nkuanga Mboko et Fasky ont présenté une exposition du même nom, qui mettant en avant des photographies des réfugiés rencontrés des mois avant pour raconter leurs traumatismes au cours des ateliers.
Pour finir, nous citerons l’exposition intitulée « Face » de la photographe, réalisatrice et romancière camerounaise Osvalde Lewat. Cette série photographique était consacrée aux femmes qui ont été obligées de quitter leurs maisons, leurs villages, leurs foyers à cause du terrorisme, pour se réfugier à Kaya : « ce que je voulais, c’était de montrer, présenter ces femmes-là, ces femmes qui font face, qui se tiennent debout […] Je voulais figer ces instants-là, puisque, bien sûr il y a des reportages dans la presse, et même à la télévision, mais montrer ces femmes dans leur dignité, dans leur grandeur, les montrer comme des personnes, et non pas comme des objets de curiosité, ou des objets d’apitoiement était très important pour moi. » (Osvalde Lewat)
Boris Noah
@créditphotos les récréatrâles
Comments