top of page

Jacqueline Coulibaly Ki-Zerbo, Educatrice Emérite

Extrait du livre collectif ‘Tisseuses d’humanité’, paru aux éditions Lakalita en 2015.






Qui est Jacqueline Ki-Zerbo ?


Je suis Jacqueline KI-ZERBO née COULIBALY à Ségou au bord du fleuve Niger dans la colonie du Soudan français, aujourd’hui République du Mali.

Ségou est un haut-lieu de la culture bamanan dont les silhouettes des gens et les effluves diverses et variées remplissent encore mes souvenirs.

Le quartier SOKALA qui m’a vu naître a très peu changé en termes de populations et d’activités maraîchères et artisanales. Les potières qui traversent le fleuve pour vendre canaris, gargoulettes et encensoirs ont bénéficié d’un projet des Nations Unies qui leur a permis de produire des plats et des assiettes modernisés ainsi que d’autres objets appréciés par les touristes.

Oui, le tourisme s’est développé et, pour répondre aux besoins des touristes, l’artisanat textile, par exemple, le bogolan et des pagnes en coton tissé et des couvertures multicolores sont proposés pour l’habillement et la décoration des maisons.

Les pirogues et charrettes fabriquées sur place font encore partie des moyens de transport, surtout pour les producteurs et productrices des villages environnants.

Le manioc, les pois de terre, les gâteaux de mil et de miel et les sardines frites font encore partie des friandises de la foire du lundi. Le couscous de petit mil trempé dans du lait frais compte parmi les desserts et les goûters appréciés des enfants.

 

Pouvez-vous nous relater votre parcours ?

 

C’est à l’école primaire de la Mission catholique que j’ai commencé ma scolarité. Je l’ai quittée pour suivre ma famille à Bamako et préparer le certificat d’études primaires et le concours d’entrée en 6ᵉ. La réussite au CEPE (certificat d’études primaires élémentaires) et au concours d’entrée en 6ᵉ nous envoie au collège de Markala, au Mali, premier établissement d’enseignement secondaire avec internat pour jeunes filles. Nous y passerons trois années avant d’aller ouvrir le lycée de jeunes filles de Bamako. L’année scolaire 1950-1951 sera sanctionnée par le brevet élémentaire et la réussite au concours d’entrée en seconde de l’école normale de jeunes filles de Rufisque au Sénégal.

Ayant été la seule à réussir la première partie du baccalauréat, je préparai la deuxième partie comme demi-pensionnaire au lycée Van Volenhoven de Dakar, au Sénégal. Le baccalauréat série Philosophie ouvrit les portes de l’université de la Sorbonne à Paris, où je m’inscrivis en propédeutique et en philologie anglaise. Les certificats de littérature américaine et de littérature française passés à Dakar donnant accès à la licence d’enseignement.

La carrière de professeur d’anglais commence à Dakar et se poursuivra à Conakry où Sékou Touré venait de proclamer l’indépendance de la Guinée et faisait appel aux intellectuels pour relever le défi du « NON » au référendum du Général de Gaulle du 28 septembre 1958. Il fallait renoncer au statut de fonctionnaire français pour une aventure considérée comme périlleuse à l’époque.

 

Parlez-nous de la scolarisation  des filles en Afrique, des progrès et des obstacles qui permettent son évaluation.

 

L’école coloniale a été créée pour préparer les fonctionnaires destinés aux services de l’administration générale, de l’éducation, de la santé et du développement rural.  Les premiers recrus ont donc été les garçons mieux préparés à faire face aux difficultés des écoles éloignées et des postes de brousse. Au fur et à mesure que la densification de la population permettait d’ouvrir des écoles à des distances raisonnables, les filles ont pu y accéder sans trop de risques pour leur surveillance et l’exécution des tâches domestiques auxquelles elles sont habituellement astreintes. La pratique traditionnelle des mariages précoces et/ou forcés est une autre contrainte majeure à la scolarisation des filles. Aujourd’hui encore, en l’an 2015, il n’est pas rare de voir des filles de 10-12 ans retirées de l’école pour être données en mariage. Car, faut-il le rappeler, le mariage et la maternité sont le destin privilégié de la femme. Seul le renforcement de la capacité de devenir une bonne épouse et une bonne mère peut trouver grâce aux yeux des intégristes dressés irréductibles.

 

L’éducation traditionnelle et l’engagement communautaire étaient une démarche essentielle dans l’édification des jeunes ; est-il encore possible de les adopter dans les options actuelles de la société ?

 

Dans la tradition Bamanan, chaque enfant et notamment chaque fille a trois mamans. La mère biologique qui le porte pendant neuf mois, assure son entretien jusqu’au sevrage avec l’assistance des personnes du troisième âge. La mère éducatrice est celle qui est chargée officiellement de la formation de la fillette, jusqu’à l’adolescence et au mariage. L’enfant lui est confiée entièrement et elle quitte ses parents biologiques pour grandir avec la mère éducatrice.

La marraine prend le relais en tant qu’amie et confidente de la jeune fille, surtout lors des cérémonies de mariage.

 

Ces trois individualités qui incarnent la maman exercent leurs responsabilités avec le groupe des « mamans », des tantes, des belles-sœurs et des grands-mères. Chaque groupe doit s’acquitter d’une certaine contribution avec diligence et générosité. Ces contributions constitueront le trousseau de la mariée et les cadeaux à distribuer aux griots et autres personnes de castes. À une certaine époque, la communauté imposait l’intervention de l’exciseuse et la gestion de la chambre et de la période nuptiale par une surveillante spécialisée en la matière.

La dimension physique et morale de ces pratiques assurait une éducation sexuelle de la jeune fille pour qu’elle devienne une bonne épouse, capable d’assurer le bien-être de sa famille. La communauté se sentait responsable de l’éducation de la jeune fille partout et à tout moment. Toute personne adulte et surtout toute femme adulte éprouvait l’obligation de rappeler à l’ordre tout enfant pour qu’il se tienne correctement et évite les attitudes et les propos grossiers.

Aujourd’hui encore, certains adultes se croient obligés de corriger certains enfants avec le risque de se faire insulter, voire désavoués par les parents naturels des intéressés. Pour éviter de telles mésaventures, on peut créer des structures modernes telles que les associations de parents assurant des activités culturelles (contes, chants, danses) et la liaison avec les structures formelles d’éducation basées sur des textes clairs et démocratiquement consentis.

 

Le respect des traditions a-t-il encore un espace dans la culture des jeunes Africains ?

 

Les relations entre adultes et jeunes tendent à devenir  rares dans la mesure où les occupations des uns et des autres se déroulent dans des espaces distincts, bureaux et écoles dans les villes, marchés du secteur informel et champs, surtout en milieu rural. Il en résulte peu de communication et d’échanges qui pourraient favoriser la transmission des valeurs traditionnelles. Néanmoins, certaines étapes de la vie individuelle des jeunes exigent la scolarisation. Petit à petit, la modernisation  de la vie familiale va créer de nouveaux besoins en termes de frais de scolarisation et de soins de santé.

L’intervention  de la communauté des adultes devient nécessaire lors des mariages, baptêmes, obsèques et funérailles.

De ce fait, une certaine écoute s’impose et la tradition n’est pas totalement effacée. Du coup, les adultes, eux aussi, prêtent attention à certaines modes des jeunes lors de ces évènements. Les identités propres aux différentes cultures se manifestent alors et l’ascendance l’emporte sur les technologies. 

 


Que pensez-vous des questionnements identitaires face à l’interculturalité ?

 


Chaque groupe communautaire a ses us et coutumes. Dans un même pays, les pratiques varient d’une région à l’autre. Les programmes scolaires doivent prendre en compte la diversité des langues et autres pratiques sociétales : culturelles et économiques. Mais la multiplicité et la diversité n’excluent pas une certaine homogénéité que nous avons évoquée ci-dessus. Le mariage n’est pas encore un échange entre deux individus. Il est encore une liaison entre deux familles et deux groupes, même si les biens échangés varient dans l’espace et le temps.

La culture universelle se profile à l’horizon du fait des moyens de communication moderne, mais l’identité culturelle exclusive n’existe pas encore et n’est guère souhaitable.



Quelle est votre vision du panafricanisme ? Est-il toujours d’actualité ? Peut-il jouer un rôle dans la réappropriation de l’identité originelle ?

 

La géographie et l’histoire ont fait de l’Afrique un continent morcelé avec des peuples parfois opposés les uns aux autres, mais parfois aussi liés les uns aux autres face à l’agression extérieure. C’est l’esclavage et la colonisation qui forgeront la forme la plus articulée du panafricanisme par la diaspora et les premiers leaders de l’indépendance.

Kwamé N’Krumah, qui est le principal chantre de l’indépendance en Afrique, a bien souligné qu’il n’ y aurait pas d’indépendance sans unité. Depuis plus de cinquante ans, le combat pour le panafricanisme est mené avec des succès mitigés, car   l’adversaire sait que c’est là le nœud du problème. Les vrais patriotes le savent aussi et s’y consacrent corps et âmes sur le plan culturel, économique et militaire. Les contre-offensives prennent parfois la forme d’assistance déguisée difficile à démasquer  sans la fermeté, sans l’unité. Un seul ciment existe contre la balkanisation, c’est l’union.

VIII/ Vous êtes une spécialiste du concept genre ; les mentalités sont-elles véritablement transformées pour effacer les inégalités sociales, culturelles ou économiques entre les hommes et les femmes ?

 

Le partage des rôles entre les hommes et les femmes est une des caractéristiques de l’identité africaine qui se manifeste dans le langage et les autres activités de la communauté.

Grâce à la scolarisation des filles, certaines femmes exercent des activités salariées dans la fonction publique et le secteur privé. Mais la majeure partie du travail des femmes s’exerce dans le secteur informel et le secteur rural.

L’accès aux moyens de production se traduit en apports en équipements techniques et en certaines technologies répondant aux besoins pratiques des femmes pour alléger les corvées d’eau et de transformation de produits agro-alimentaires pour la famille et les activités génératrices de revenus. Mais le pouvoir de décision concernant l’implantation de ces équipements appartient souvent aux hommes et toutes décisions politiques relèvent du domaine des hommes.

Les textes de loi ont été pris pour assurer une représentation équitable des femmes. Mais ces textes tardent à s’appliquer correctement. Certains partis préfèrent payer les pénalités faute de trouver des candidates aux profils satisfaisants.

Quelques femmes audacieuses briguent les postes de présidente de la République et de députées. Elles sont plus nombreuses au niveau des conseils municipaux et villageois où elles parviennent à appliquer davantage leurs connaissances des problèmes concrets des femmes, des familles et des communautés. On peut dire que les mentalités ont plus changé chez les femmes que chez les hommes.

 

Quelles sont les attitudes sexistes et les violences qui sont encore un frein à l’amélioration de la position sociale et de la condition des filles et des femmes ? 

 

Aujourd’hui encore, une fille, une femme est considérée non comme une personnalité en soi, mais plutôt par rapport à l’homme qu’elle doit épouser, servir par les travaux domestiques et les enfants qu’elle doit porter. 

La pratique de l’excision, des mariages précoces et forcés démontre à suffisance les freins à l’émancipation des femmes.

Souvent, les communautés jugent à tort ou à raison la manière dont une femme doit s’habiller, marcher, parler et se comporter en général. Celle qui ne respecte pas ses normes est souvent incomprise, vite qualifiée d’extravagante, mise en marge et parfois victime d’agressions non justifiées. Les membres de sa famille qui l’acceptent dans son combat pour l’émancipation des femmes deviennent des victimes collatérales. Ils sont accusés de faiblesse, de laisser-faire. La religion est souvent mobilisée pour justifier les attitudes sexistes, rétrogrades, sous couvert de respect des valeurs culturelles et de la tradition.

La répartition des rôles d’éducation des enfants apporte une certaine stabilité dans la famille et réduit les risques de violence contre les femmes.

 

Quelles sont les barrières à surmonter et les engagements essentiels à prendre pour le respect effectif des droits des femmes ?

 

En passant en revue les attitudes sexistes, on esquisse rapidement les principales barrières à surmonter. C’est d’abord la perception de la place et du rôle de la femme dans les sociétés traditionnelles : 

place et rôle de subordination dans les sociétés patriarcales ;

rôle d’acceptation et d’exécution des corvées nécessaires à la survie de la communauté

renoncement aux biens et dépendance à l’égard des autres en ce qui concerne l’éducation, le travail rémunérateur, la participation à la prise de décision.

Il y a tout d’abord lieu de protéger l’intégrité physique et la santé de la reproduction par un espacement judicieux des naissances.

L’établissement d’actes de l’état civil assurerait l’égalité des chances au moment du recrutement scolaire et pour la détermination de l’âge légal pour le mariage. La législation scolaire devrait accorder une attention particulière à la carte scolaire pour réduire au minimum les distances entre les familles et l’école. On éviterait ainsi d’avoir à confier les écolières à des parents et à des amis entraînant parfois l’exploitation du travail ou l’exploitation sexuelle des écolières.

L’attribution des bourses d’études devrait se faire de manière équitable, quitte à accorder la priorité à des filles issues de familles pauvres.

Le maintien à l’école des filles-mères a permis de réduire le recours aux avortements, bien que la pauvreté reste une question cruciale pour certaines d’entre elles.

Au niveau des concours de recrutement à la fonction publique, on retrouve le problème de la maternité des candidates qui doivent s’organiser pour assurer la garde de leurs bébés pendant les épreuves et pendant les études en cas d’admission.

Le regroupement familial est de plus en plus à l’ordre du jour, surtout avec la décentralisation de la fonction publique. Certains chefs de famille seront peut-être moins réticents à suivre leurs conjointes dans leurs lieux d’affectation, surtout s’ils sont chômeurs. 

Outre les aspects techniques et technologiques, la modernisation de l’administration doit prendre en compte ces dimensions sociétales pour le bien-être des travailleurs et de leurs familles.

 

Quels sont vos vœux pour la nouvelle génération de femmes africaines et de descendance africaine ?

 

La nouvelle génération de femmes de la diaspora devrait s’engager pour combler les fossés que l’espace et le temps ont creusés. La priorité devrait être accordée à la culture avec un accent sur le savoir-être, les besoins alimentaires, l’art culinaire, la mode, la musique et la danse. Ce sont déjà, les domaines que les femmes et les jeunes ont investis pour le rendez-vous mondial du donner et du recevoir, luttant ainsi contre la pauvreté.


Propos recueillis par Fatoumata KANE.

 

Comments


bottom of page